sur site le 10/01/2002
-François Xavier DORDOR (1845-1913) et l'école DORDOR d'ALGER

«article publié ds le N. 90 de l'Algérianiste»
Jacques Yves Desrousseaux
Arrière petit-fils de François Xavier Dordor

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-----Les anciens élèves de l'école Dordor d'Alger sont légion et leurs souvenirs de l'école restent vivaces après plusieurs décennies. Une école " où l'on ne dormait pas précisément, contrairement au nom qu'elle portait ", comme l'évoque Pierre Dimech dans son livre " d'une jetée l'autre ". Mais que représente pour ces anciens élèves le nom de Dordor, mis à part un calembour ? Dordor avait bien sa stèle dans la cour de l'école ; il en avait été jadis le directeur mais qui était-il, et pourquoi honorait-on sa mémoire ?

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Rien d'étonnant à ce qu'aucun des anciens élèves interrogés n'ait su répondre. François Xavier Dordor, mon arrière grand-père, avait 6 enfants. La famille de son seul fils aîné représente aujourd'hui plus de 160 personnes vivantes ; l'an dernier encore, nous ignorions tout de notre ancêtre. Ce sont monsieur et madame Delaye, animateurs de la très efficace association " Généalogie Algérie - Maroc - Tunisie ", qui m'ont montré le fil d'Ariane. Monsieur Hervé Cuesta, dont la famille était à Alger voisine des Dordor, a également contribué à cette quête en m'ouvrant les portes d'un réseau amical qui m'était jusqu'à présent inconnu. Plusieurs mois de recherches aux archives d'Outre Mer, des Bouches-du-Rhône, du Doubs et de l'Armée de Terre, ont alors apporté une réponse.

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Famille de laboureurs, comme on disait jusqu'au 18ème siècle, les Dordor sont d'anciens colons espagnols installés en Franche-Comté avant son rattachement à la France au 17ème siècle. Leur patronyme, Dordores, aurait été francisé en Dordor. François Xavier Dordor est le fils de modestes cultivateurs de Cléron, dans le Doubs. Ses parents, nés tous deux en 1801, ont eu 10 enfants, dont 4 morts en bas âge. Leurs 4 filles, domestiques quand elles sont en âge de travailler, épousent des hommes du terroir ; des voituriers, un maçon, un cultivateur de Cléron. Leurs deux garçons, Jean Etienne et François Xavier, rompent avec la tradition sédentaire de leurs ancêtres cultivateurs. Jean Etienne, né en 1835, fait une carrière militaire ; engagé comme simple soldat, il parvient au grade de capitaine. Les deux frères seront décorés de la Légion d'honneur.

-----François Xavier, le frère cadet, est né le 22 avril 1845 à Cléron. Peu après la mort de son père, il entre comme boursier le 3 novembre 1866 à l'école normale d'instituteurs de Besançon. On retrouve son dossier scolaire aux archives départementales du Doubs ; " caractère et conduite excellents, devoirs religieux exactement remplis, aptitudes ordinaires ; bon et prévenant ".

-----François Xavier, exempté du service militaire par son numéro, quitte Besançon le 14 janvier 1866 pour intégrer au milieu de la 3ème année scolaire la première promotion de l'école normale de Mustapha, créée à Alger par un arrêté de 1865 et qui commence à fonctionner le 16 janvier 1866. Un livre d'Aimé Dupuy, ancien directeur des écoles normales d'Alger Bouzaréa, décrit la vie quotidienne des élèves-maîtres. La revue GAMT en a publié récemment quelques extraits (n° 66 du 2° trimestre 99). La discipline monacale a de quoi nous surprendre. Tous les jours, réveil à 4h30 et coucher à 21h30 ; dans des salles d'études distinctes pour les chrétiens et les musulmans, prière obligatoire avant le début de l'étude du matin et à la clôture de l'étude du soir. De maigres libertés le jeudi et le dimanche après-midi ; jardiner, faire sa correspondance, recevoir sa famille au parloir dans une plage étroite de 2 heures, se promener en rangs et encadrés.

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Les deux "aumôniers " de l'école ont une place importante dans le protocole ; sur une photo de 1866 regroupant enseignants, personnel et élèves, l'abbé " professeur de religion " siège à la droite du directeur. L' "aumônier " musulman, " Sidi Abd El Kader ", est à sa gauche. La part donnée à la religion dans un établissement d'enseignement public a de quoi surprendre nos contemporains ; mais le " petit père Combes " n'était pas encore passé.

-----Revenons en à François Xavier Dordor. En 1871, instituteur à Boufarik, il épouse la fille d'un négociant de Blida, Anne Torre. En 1880, on le retrouve instituteur dans une école communale d'Alger, 2 avenue Gandillot. C'est à cette adresse qu'il habite et que naissent ses enfants à compter de 1880. Anne Torre meurt en 1880 en donnant naissance à leur seconde fille. François Xavier se remarie l'année suivante avec Clémence Mouranchon dont la mère, veuve depuis quelques années, a quitté Marseille avec ses enfants pour s'installer à Alger, rampe Valée. A chacun de ses mariages, François Xavier prend deux instituteurs pour témoins.

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Clémence Mouranchon donne 4 enfants à François Xavier ; l'aîné, Edouard Dordor, est mon propre grand-père. Les actes de naissance des enfants laissent supposer que François Xavier est nommé entre 1882 et 1885 directeur de l'école communale de l'avenue Gandillot, dont il était auparavant l'un des instituteurs.

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Le " bulletin de l'enseignement des indigènes de l'académie d'Alger " de juillet 1896 apprend qu'il reçoit, par arrêté du 5 avril 1896 , " la distinction honorifique d'officier de l'instruction publique, à l'occasion des visites faites par le Ministre de l'instruction publique aux établissement scolaires d'Algérie ".

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François Xavier devait avoir l'estime de ses collègues de l'enseignement primaire ; lorsqu'il est nommé chevalier de Légion d'honneur, ils lui offrent en effet une croix sertie de brillants, dans un écrin mentionnant " les membres de l'enseignement primaire du département d'Alger à leur collègue Monsieur Dordor ".

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En janvier 1908, l'école de garçons dont François Xavier est directeur n'est plus avenue Gandillot mais rue Dupuch. François Xavier est l'un des 51 directeurs d'écoles primaires publiques d'Alger. Son traitement annuel, constant depuis 1903, est de 3500 francs, dont 2800 francs pour " faire la classe ". Avec ses 11 instituteurs titulaires (dont les archives d'Outre Mer ont gardé les noms) et ses 10 classes d'enseignement primaire, de la quatrième à la première comme on disait alors, l'école de la rue Dupuch est en 1908 la seconde à Alger par sa taille. François Xavier Dordor reste à son poste jusqu'à sa mort en 1913, sans être mis à la retraite. Il laisse son nom à l'école de la rue Dupuch. Mais s'agit-il déjà des bâtiments dont les anciens élèves se remémorent l'entrée principale dans les escaliers de la rue Levacher ?

-----Dans son livre " d'une jetée l'autre ", Pierre Dimech évoque l'école Dordor des années 1940. Il s'agissait de " l'école communale de garçons la plus fameuse de la ville (enfin, c'est qu'on disait dans l'école, et aussi dans le quartier, tout en se livrant à un calembour facile à partir du nom de l'école), dans l'étroit triangle formé par les rues Dupuch, Levacher et Saint-Augustin. L'enseignement prodigué à Dordor était d'un niveau qui faisait honneur à sa réputation et ce, malgré la guerre, et les trous que celle-ci creusait au sein des enseignants. La discipline ne lui cédait en rien, les instituteurs étaient bien encore ces fameux " hussards noirs de la République " qui, à l'égard des cabochards, maniaient moins la dialectique et l'ouverture que la fessée, à savoir " la tannée ". Le second enseignement des élèves (catholiques était le catéchisme), prodigué dans la paroisse, à l'église même vouée à Saint-Augustin ". L'église Saint-Augustin, aujourd'hui mosquée, où furent baptisés les enfants de François Xavier.

-----Au début des années soixante, une stèle à la mémoire de François Xavier se dressait encore dans la cour de l'école ; on l'aperçoit d'ailleurs sur les diplômes remis par l'Académie d'Alger à l'occasion des distributions de prix (1).

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En 1999, les murs de l'école Dordor sont toujours ceux qu'ont connus nos contemporains anciens élèves. L'immeuble lui-même est en bon état, ravalé depuis peu. Mais on ne peut en dire autant de son environnement. Rues sales, immeubles délabrés, le quartier de la rue Dupuch et du carrefour du " Cadix " n'a plus " le charme provincial, quasi villageois " qu'appréciait Montherlant (2), comme Pierre Dimech l'écrit dans son article " les Tournants Rovigo, évocation d'un quartier d'Alger ". Les anciens élèves se rappellent le gymnase-club algérois, situé dans les sous-sols de l'école. A l'entrée, un panneau indique aujourd'hui " Commune d'Alger centre, musculation haltérophile, lutte, force, salle des champions ". On y accède par un couloir grillagé aussi avenant que celui du métro aérien de Paris, qui plus est couvert de tôles métalliques et de barbelés.

-----François Xavier Dordor, instituteur et fils de cultivateurs, aura la satisfaction de voir son fils aîné Edouard intégrer l'école Polytechnique en 1903. De justesse il est vrai puisqu'il entre l'avant dernier de sa promotion….. après démission de plusieurs candidats classés avant lui. Les fréquentes mutations imposées à Edouard, officier de carrière, et la mort de François Xavier, juste avant la guerre de 14, expliquent pourquoi les Dordor d'Alger et la famille d'Edouard Dordor ont perdu contact il y a plus de 80 ans.

-----Mise à part une demi douzaine d'actes et d'objets, les descendants d'Edouard n'ont rien gardé de l'instituteur. La tradition orale est quant à elle inexistante dans la famille. Nous ne savons même pas ce que sont devenus les autres enfants de François Xavier (Anna ° Alger 1880 ; Albert ° Alger 1885, x Oran 1919 Rose Molinari ; Lucile ° Alger 1887, x Noël ; Marguerite ° Alger 1890), ni s'ils ont une descendance. Et nous ne savons toujours pas quels ont été les mérites de François Xavier, si ce n'est d'avoir dirigé plus de 30 ans l'école qui aura porté son nom pendant un demi siècle. -----En tous cas, je n'ai trouvé les réponses ni aux archives de la France d'Outre Mer, ni aux archives de la Légion d'honneur, ni à celles de l'Education nationale ; encore moins dans les services de l'état civil de Nantes, aucune demande visant à retrouver les autres descendants de François Xavier n'ayant abouti. C'est pourquoi je ferais volontiers appel à la mémoire des lecteurs de l'"Algérianiste ".Jacques Yves Desrousseaux
Arrière petit-fils de François Xavier Dordor(1) Voir l'illustration jointe (agrandissement d'un diplôme).
(2) Voir l'illustration jointe (carte postale du début du XXème siècle).